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CommunicationPublished on 11 December 2024

Pratiques féministes et agroécologiques pour un monde durable

Natália Lobo est agroécologue et militante de la Marche Mondiale des Femmes, partenaire d’E-CHANGER au Brésil. Ses recherches portent sur les liens entre agroécologie et rapports de genre. Dans cet entretien avec Maïmouna Mayoraz, elle explique son travail avec les femmes rurales au Brésil ainsi que les liens entre souveraineté alimentaire et égalité des sexes.

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Maimouna Mayoraz
E-CHANGER
LinkedIn | m.mayoraz@e-changer.org

Entretien avec Natália Lobo, agroécologue et militante de la Marche Mondiale des Femmes, partenaire d’E-CHANGER au Brésil. Ses recherches mettent à jour les liens entre agroécologie et rapports de genre.

Propos recueillis par Maïmouna Mayoraz

La Marche Mondiale des Femmes (MMF) au Brésil est un mouvement populaire féministe et critique du capitalisme. Ce mouvement, fort d'une base de 12’500 personnes, a développé de nombreuses réflexions, pratiques et expériences répondant à l'urgence climatique et sociale.

E-CHANGER développe un partenariat avec Marche Mondiale des Femmes au Brésil depuis de nombreuses années. En ce moment, deux coopér-actrices E-CHANGER, Maria Fernanda Pereira Marcelino et Gaëlle Scuiller, travaillent au sein de la MMF pour renforcer la valorisation des connaissances internes au mouvement et la formation des militantes. Cet appui est soutenu par la DDC par le biais d’Unité.

Le féminisme populaire de la MMF, ancré dans la lutte et l’auto-organisation des femmes les plus marginalisées pour leurs droits, permet d'imaginer des alternatives capables de répondre aux énormes défis qui se posent de façon de plus en plus destructrice avec le changement climatique, notamment dans notre rapport à la nature et dans la construction d'une société solidaire et durable pour toutes et tous.

Nous nous sommes entretenus avec Natália Lobo, agroécologue et militante de la MMF, dont les recherches mettent à jour les liens entre agroécologie et rapports de genre.

1. Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre travail au sein de la MMF?

Je m’appelle Natália Lobo, militante de la Marche mondiale des femmes (MMF) au Brésil, agroécologue et titulaire d'une maîtrise en sciences sociales dans le domaine du développement social et agricole.

Au sein de SOF, une organisation féministe basée à São Paulo faisant partie de la MMF , j'accompagne des groupes de femmes agricultrices dans la région du Vale do Ribeira, au sud de l’état de Sao Paulo, dans le développement de leurs pratiques agroécologiques, l'économie solidaire et la construction de leur autonomie personnelle et collective. Ce travail bénéficie du soutien de l'Espace Femme International (EFI), ce qui a été fondamental pour construire un processus de formation et d'accompagnement continu de ces femmes dans l’acquisition de leur autonomie en tant que groupe auto-organisé.

En tant que militante de la MMF, j'ai travaillé avec d'autres camarades à la construction d’alternatives agroécologiques et dans des luttes socio-environnementales en alliance avec d'autres mouvements. Au Brésil, nous sommes confrontés à l'avancée de l'agro-business, de l'exploitation minière, des mégaprojets énergétiques et des fausses solutions du capitalisme « vert », telles que le marché des compensations carbones. Nous avons mené des luttes contre ces projets, avec des camarades du mouvement syndical, agro-écologique, de la lutte pour la terre et d'autres. Aujourd'hui, nous sommes très impliquées dans la construction du Sommet des Peuples en amont du G20 et de la COP30, deux événements majeurs qui auront lieu au Brésil en 2024 et 2025. Nous voulons construire de larges espaces pour que la société civile dénonce la façon dont ces évènements multilatérals ont été pensé, c’est-à-dire d'une manière qui favorise les profits des entreprises et des pays du Nord global.

Lors du Sommet des Peuples, nous organiserons des débats, des espaces d'organisation et de formation autogérés et des manifestations de rue pour faire entendre nos revendications.

2. Dans la recherche que vous menez avec les femmes rurales de l'état de Sao Paulo, quels sont les principaux résultats?

Avec la SOF, nous avons déjà participé à des expériences de recherche-action avec des femmes rurales, dans le cadre desquelles nous menons des recherches tout en les accompagnant. Actuellement nous sommes impliquées dans la phase finale du projet de recherche-action « GENgiBRe- Relations avec la nature et l'égalité des sexes. Une contribution à la théorie critique basée sur les pratiques et mobilisations féministes en agroécologie au Brésil ». Cette recherche a été menée en partenariat avec des instituts de recherche et des organisations au Brésil et en France. Nous avons cherché à mieux comprendre la relation entre les agricultrices agroécologiques et la nature, et comment cette relation se matérialise dans leurs luttes contre les pesticides et l'exploitation minière, par exemple. Nous y constatons que les femmes sont les principales gardiennes de la biodiversité dans les territoires. Ce sont elles qui cultivent la majeure partie de la diversité alimentaire, qui s'occupent des semences et des jeunes plants, ainsi que de la diversité des petits animaux. Elles sont également les premières responsables d'autres pratiques agricoles, telles que la protection des sols et des cours d'eau. Elles se sont également révélées être centrales dans les luttes contre les pesticides et l'exploitation minière, affrontant souvent leurs propres maris et d'autres membres de la communauté pour défendre le territoire contre les entreprises transnationales. Parfois, elles utilisent leur propre corps et leur travail comme outils de résistance, comme dans le cas d'une agricultrice qui a dit à son mari que s'il continuait à utiliser du poison sur leurs cultures, elle ne cultiverait plus avec lui.

Nous avons également pris conscience de l'immense contribution économique que la production des femmes apporte à leurs familles et à leurs communautés grâce à leur travail dans les champs, les jardins et les arrière-cours où elles cultivent pour leur propre consommation. Cette contribution est largement invisibilisée parce qu'elle ne passe pas par le marché capitaliste, mais lorsque nous l'avons quantifiée, nous avons réalisé qu'elle représentait une source fondamentale de revenus pour les familles. Cette recherche nous a également permis d'en savoir plus sur le fonctionnement des relations hommes-femmes dans le Brésil rural d'aujourd'hui. Nous avons essayé de ne pas essentialiser la position des femmes en tant que personnes qui prennent soin t des hommes en tant que destructeurs de l'environnement. Nous savons que cette division dans la pratique n'est pas une caractéristique naturelle, mais plutôt une répercussion de la division sexuelle du travail dans le monde capitaliste. Cependant, nous avons rencontré de nombreux hommes qui ont commencé à adopter des pratiques agroécologiques en suivant les traces de leurs femmes ayant commencé à introduire l’agroécologie plus tôt dans l'unité de production.

3. Pourriez-vous nous en dire plus sur l'idée de l'économie féministe et sur la manière dont elle est liée à la souveraineté alimentaire et à l'agroécologie pour votre organisation?

L'économie féministe est au cœur du programme de la Marche mondiale des femmes. Nous pensons que pour changer la vie des femmes, nous devons changer le monde, ce qui implique fondamentalement de changer le système économique. Nous nous identifions à l'économie féministe anti-systémique, qui est non seulement anti-patriarcale mais aussi hors du capitalisme, anti-raciste et anti-coloniale. Nous luttons pour construire un système économique qui place la durabilité de la vie au centre, plutôt que le profit. Cela signifie que nous voulons restructurer les fondements de l'économie et faire en sorte que les activités économiques soient orientées vers la reproduction de la vie. Nous pourrions citer ici l'écoféministe Maria Mies, qui remet en question les catégories « classiques » de travail productif et reproductif. Elle décompose cette dichotomie, qu'elle considère comme fausse, et affirme que l'on peut classer les types de travail comme productifs ou destructifs. Le travail productif serait celui qui génère des choses en faveur de la vie, en prenant soin des êtres humains et non humains, en garantissant ce dont nous avons besoin pour vivre : les soins, la nourriture, l'éducation, la culture, la santé. Les emplois qui ne sont pas favorables à la vie sont des emplois destructeurs, et ils devraient cesser d'exister, comme les industries de l'armement et des pesticides.

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